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Comme l’Everest, le large est à vendre

Nous sommes en novembre 2034.

Le traité de non-agression entre la Russie et l’Ukraine vient d’être paraphé, les affrontements sont à peine terminés. Les négociations avec le très controversé Evgueni Prigojine, successeur de Poutine, ont été difficiles et interminables, malgré la totale indépendance énergétique acquise par l’Europe. Sous la pression des besoins, les pays se sont mis à autoriser la fracturation hydraulique, puis ont levé partiellement l’interdiction de l’extraction des sables bitumineux découverts dans leurs sous-sols. La société s’est divisée pour ne pas dire déchirée sur le sujet. Les mouvements écologistes toujours très politiques et encore si divisés n’ont pas su se faire entendre d’autant que les concepts de démobilité et de sobriété n’ont été suivis d’aucun changement de comportement. La ligne de scission n’a pas été que générationnelle.

Ce matin, le climat et son corollaire, les nouveaux cycles météo sont au programme de la conférence de presse d’EnVision Racing, le team de Formule E qui a racheté l’ex-équipe Banque Populaire et la structure Spindrift en 2025.

Cinq trimarans géants vont bientôt partir de Brest en tentative de record autour du monde avec dans chacun d’eux un VIP embarqué. Même à un demi-million de dollars le ticket, les candidats ont été nombreux et il a fallu passer par un stade de sélections. Comment en est-on arrivé là ? Très logiquement en fait…

Le milieu de la course au large s’est scindé en trois

Et cette évolution à eu lieu dans la deuxième partie des années 2020 quand les premiers symptômes climatiques graves sont apparus et que les premiers activistes se sont invités au départ des courses pour percer les coques la nuit. Un premier tiers des teams a su rebondir en vendant son expertise aux transporteurs maritimes, a continué de développer la recherche fondamentale sur les énergies renouvelables, et s’aligne encore au départ de ce qui reste  du circuit dont le Vendée Globe. Parmi eux, Mer Concept, mais aussi Syroco Lab, équipe issue de la vitesse qui collabore avec CMA-CGM sur la modélisation numérique et l’optimisation énergique des trajets des porte-conteneurs. La célèbre boucle vendéenne a subi le même sort que le vieux Paris Dakar, elle part désormais de Luanda en Angola, l’Afrique étant stratégique pour les géants de l’énergie et les grosses sociétés chinoises qui sponsorisent des teams. L’intérêt en Europe était décroissant, les nouvelles générations s’engageant davantage pour des causes humanitaires, scientifiques que pour les événements qui passionnaient leurs parents et grands-parents. Plusieurs naufrages et quelques accidents impliquant des bateaux de migrants avaient également été jugés inacceptables. Beaucoup préfèrent aussi les gros hubs de nuits technos qui se sont développés dans les pays de l’Est ou les watts et les drogues de synthèses coulent à flots. Le sport n’est pas dans leur radar.

Le deuxième tiers, et c’est là que l’on retrouve EnVision Elevate Yourself, la division offshore, s’est effectivement inspiré des expéditions commerciales en très haute montagne aux débuts des années 2000, pour financer son équipe de course, même si la pratique fait l’objet de nombreuses critiques surtout en France. Depuis que les grands bouleversements climatiques ont obligé les gouvernements népalais et chinois à interdire l’accès au sommet après que les secousses sismiques de l’hiver 2027 aient causé la perte de dizaines d’expéditions commerciales, Nirmal Purja devenu Premier ministre du Népal n’a pu que se rendre à l’évidence, l’ère des 8 000 était terminée. Tous les riches clients asiatiques, brésiliens, africains et américains se sont donc rabattus sur cette quête encore accessible, le tour du monde en 35 jours, pour s’acheter de l’aventure terrestre. Le tourisme dans l’espace n’ayant plus la côte après le crash de la fusée de Bezos disparu avec son projet mégalo. L’aventure n’est pas sans risque, les vents catabatiques étant de plus en plus répandus et même si les nouveaux trimarans peuvent encaisser 90/100 nœuds, l’équipage se réfugiant alors dans les cellules de survie conçues par la division marine de Space X, les accidents existent. L’équipe australienne financée par un ex-magnat du lithium en a fait les frais. Ni le bateau pourtant bardé de capteurs ni la cellule réputée indestructible n’ont été retrouvés.

Cette course au large là intéresse de nouveaux acteurs et la génération des marins bretons a perdu du terrain au profit de profils aussi différents que des ingénieurs aéronautiques, de pilotes d’essai venus de l’univers militaire ou des forces spéciales que l’armée dépêche pour améliorer son image et recruter.

La chaîne Netflix avait été pressentie pour en faire une série, mais la société américaine a préféré racheter la franchise Ninja e-Warrior. C’est ESPN qui la diffuse timidement. La Bretagne a évidemment bénéficié de ce nouveau tourisme d’élite, mais les océans étant vastes, d’autres régions du monde commencent à copier le business model français. Notamment l’Afrique.

La dernière partie des anciens teams de voile ont enfin basculé sur les courses en E-Powerboat très populaires en Asie et aux États-Unis, là où la législation sur la faune sous-marine est plus laxiste. La course était une économie, il a fallu s’adapter ou mourir. La culture maritime européenne a connu d’autres bouleversements. Le développement de la propulsion électrique, les conditions météorologiques de plus en plus capricieuses, mais surtout imprévisibles ont beaucoup nuit à la voile dont le romantisme et l’adéquation avec les thèmes environnementaux peinent désormais à convaincre, les fabricants n’ayant pas voulu ni su remplacer les composites. En course, le gigantisme des années 2000/2020 se paye cash. La société n’a pas totalement abandonné les valeurs de puissance et de vitesse que les Ultims des années 2010/2020 incarnaient, mais elles perdent malgré tout du poids. Les géants ont payé le prix dont s’acquittent les symboles.

Sobriété et changement sociétaux

L’individualisation et la miniaturisation de l’expérience sur l’eau, amorcées dès les années 1970, ont abouti à un véritable virage de la culture maritime européenne notamment. Le downwind s’est beaucoup développé, le wingfoil a connu un succès phénoménal et de nombreux événements rassemblent un public passionné, mais la courbe redescend. Les marques, bien que de taille modeste, ont investi dans la préservation de l’océan, ont embauché des scientifiques comme partenaires et ont su convaincre. Cette génération privilégiée, mais éclairée essaye de prendre soin de la planète, mais la tâche est immense. Enfin, il faut bien l’avouer, la digitalisation totale du commerce via des malls métaversés a beaucoup plus de succès.

À l’orée des années 2020, les progressistes ou ceux qui se voyaient comme tels, voulaient se reconnecter à la nature, prendre soin d’eux, être plus sobres. Mais la grande majorité a trouvé que c’était trop dur, trop cher, trop élitiste. Les scénaristes de Wall-E avaient vu juste.

Sobriété et changement sociétaux obligent, l’individualisation et la miniaturisation de l’expérience sur l’eau, amorcées dès les années 1970, ont abouti à un véritable virage de la culture maritime européenne notamment. Le downwind s’est beaucoup développé, le wingfoil a connu un succès phénoménal et de nombreux événements rassemblent un public passionné, mais la courbe redescend. Les marques, bien que de taille modeste, ont investi dans la préservation de l’océan, ont embauché des scientifiques comme partenaires et ont su convaincre. Cette génération privilégiée, mais éclairée essaye de prendre soin de la planète, mais la tâche est immense. Enfin, il faut bien l’avouer, la digitalisation totale du commerce via des malls métaversés a beaucoup plus de succès. À l’orée des années 2020, les progressistes ou ceux qui se voyaient comme tels, voulaient se reconnecter à la nature, prendre soin d’eux, être plus sobres. Mais la grande majorité a trouvé que c’était trop dur, trop cher, trop élitiste. Les scénaristes de Wall-E avaient vu juste.

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