Commençons par revenir au moment où l’organisation a rendu publique son partenariat avec Dacia. Le rejet, provenant d’une partie de l’élite, a été immédiat. L’épreuve a pourtant été un succès populaire. Un peu comme au Tour de France, le grand public a eu un point de vue différent. (analyse initialement publiée le 29 janvier 2024)
Ce partenariat – critiquable évidemment – pouvait ne pas être diabolisé, il pouvait être vu comme une opportunité. On aurait pu y voir une victoire de la basket sur le pneu, un recul symbolique de la voiture. Détaillons ce point de vue :
Bien sûr, le tollé aurait été moindre sans l’option du naming, authentique travers du sport moderne qui fait de toute entité, épreuves sportives, bateaux, stades, équipes cyclistes et autres, un « objet » qu’il faut absolument rebaptiser. Triste époque, relire No Logo de Naomi Klein.
Remettons l’automobile dans son contexte
L’histoire de l’automobile est intimement liée à celle de nos sociétés. Sauf à nier qu’Henri Ford ait existé. L’automobile a commencé par lier les lieux lointains puis a façonné nos villes, nos territoires, nos vies et nos imaginaires. Depuis 1908. Se plonger dans l’excellent livre « Face à la puissance » de François Jarrige et Alexis Vrignon, une histoire des énergies alternatives à l’âge industriel, et encore davantage, dans « Les Cultures du volant » de Mathieu Flonneau. Ces deux ouvrages aident à comprendre la trajectoire globale.
Bien sûr, 116 ans plus tard, on peut évidemment constater que l’automobile (au sens large) et sa folle prolifération ont généré des dommages collatéraux et on aimerait appliquer à la vallée de Chamonix la recette de la rue de Rivoli, mais c’est un peu plus complexe que cela.
On peut être « contre » l’automobile, mais en venir à « tirer » sur l’UTMB, semble un réflexe trop facile. Les coureurs, dont l’impact carbone, les leçons de morale et les partenaires automobiles font débat sur les réseaux, ont sans doute un rôle à jouer, mais 1500 camions passent chaque jour le tunnel du Mont Blanc, on dénombre globalement 300 000 poids lourds qui roulent en France, dont certains doivent livrer des chaussures à la durée de vie très courte aux adeptes de la course à pied. Choisissons mieux les combats.
S’inspirer des grands événements
Pour en revenir à Ford, emblématique du début de l’ère automobile, qu’on ne défend pas ici mais que l’on constate simplement comme une réalité existante, passons directement aux 24 heures du Mans 1966, qui a donné lieu à de très bons documentaires ainsi qu’à un film. La thèse est osée, c’est aussi le luxe de la prospective.
Au milieu des années 60, l’automobile est une industrie florissante. La voiture est synonyme de liberté, elle est le symbole d’une société qui va de l’avant. L’environnement n’est pas un sujet, c’est dommage, mais on ne refait pas l’histoire. La course est depuis longtemps une scène sur laquelle les grandes firmes s’affrontent pour se faire une image, avoir un impact. On ne parle pas encore de leads. Des sponsors payent pour apparaître sur les voitures et ce mode de financement ne va cesser de se développer. Ce modèle est toujours en vigueur en F1 ou en Endurance.
La popularité de la course automobile ne se dément pas, ce n’est pas le débat, par contre le développement d’un circuit mondial de compétition de course à pied pourrait être vu et promu comme un retour en grâce de la puissance humaine sur la puissance mécanique. Dans le monde de demain que l’on désirait tous après le Covid, nous rêvions de changer de modèle, non ? Le trail et l’ultratrail, sans doute davantage que le triathlon, véhiculent un imaginaire fort. Celui de l’endurance, de la résistance, du défi. Tout comme les 24 heures du Mans au siècle dernier.
Projetons-nous dans 30 ans et imaginons que les enfants, qu’ils soient de Paris, de Berlin, de Pékin ou de Chamonix, se passionnent pour ce sport qui n’a pas besoin d’infrastructure, qui ne nécessite que peu de matériel et qui met en valeur la performance humaine. Celle qui fait que la pente est difficile, les distances longues et qui nous connecte à la réalité du terrain, de l’effort et finalement de notre condition.
Une utopie envisageable
Pour le coup, on pourrait développer un vrai récit. À moins que par rejet du système, tout le monde, stars du trail comprises, préfère s’affronter sur des événements alternatifs sans prize money et sans médias, juste pour la beauté du geste.
Qu’une marque d’automobile en soit « réduite » à apparaître comme sponsor, c’est un premier retournement de situation. Certes, tout le monde aurait préféré un partenariat avec la SNCF, sans doute plus symbolique, mais laissons-nous un peu de temps. Il y aurait aujourd’hui près de 1,4 milliard de véhicules à moteur, on ne va les éradiquer de suite à coup de post Instagram mais on peut commencer à faire rêver avec le trail.